Réimplantation de la table astronomique de Chaumont

Pierre Sydler, 10 octobre 2023

Histoire et utilité de cette table astronomique

Pour permettre le parfait alignement de la lunette méridienne, garant de la détermination de l’heure exacte, on visualise bien l’utilité des mires nord et sud d’un observatoire.
Par contre, quelle pouvait être la fonction de ce gros bloc de roche parfaitement taillé ?
Les astronomes se livraient-ils en ces lieux à quelques cérémonies ésotériques ou astrologiques ?

Laissons Adolph Hirsch, premier directeur de l’Observatoire de Neuchâtel, nous donner les raisons de cette construction :
‘’J’espère commencer cet été les travaux qui ont pour but de déterminer l’influence des Alpes et du Jura sur la direction de la verticale dans notre Observatoire, j’ai choisi au nord la station de Chaumont, … et au sud notre mire à Portalban,…, je déterminerai la latitude astronomique avec les plus grands soins et en les comparant avec celle qu’on peut déduire trigonométriquement, je trouverai la déviation que l’attraction des montagnes fait subir à la verticale (fil à plomb)…., et nous espérons ainsi élucider une des questions les plus importantes et des plus controversée de l’étude et de la figure de la Terre.’’ Bulletin de la Société Neuchâteloise des sciences naturelles1861-1864 Rapport du directeur de l’observatoire cantonal 1863-1864, p. 13

En 1887, la Commission géodésique suisse en était le maître d’œuvre.
Durant de nombreuses nuits, les géomètres mesurèrent la hauteur des étoiles au passage du méridien, puis procédèrent à de longs et laborieux calculs en vue de déterminer la latitude astronomique du lieu.

La déviation du fil à plomb et la non horizontalité de la surface d’un liquide résulte du relief et des anomalies internes de densité de la Terre, dans le cas présent la montagne de Chaumont.

Une déviation de la verticale non prise en compte produit le même effet qu’un défaut de verticalité du support du théodolite.
Latitude déterminée par triangulation: N 47° 1’ 22.54‘’
Latitude astronomique calculée (ETRS89): N 47° 1’ 09.49‘’
soit une différence de 13.05‘’ d’arc, cet angle extrêmement petit équivaut à voir un cheveu à une distance de 1.5 mètre, mais le même angle partant du centre de la Terre à environ 6370 kilomètres représente une différence de latitude 403.17 mètres dans le terrain en direction du sud.
Depuis la table, au moyen du théodolite un angle a été mesuré en direction du centre méridien de l’Observatoire avec pour résultat un décalage de l’azimut astronomique (CH1903) de 6.46’’ d’arc de grand cercle ou 9.48’’ sur le parallèle N 47° 1’.
Longitude déterminée par triangulation: E 6° 57’ 13.55’’
Longitude astronomique calculée (ETRS89): E 6° 57’ 26.19’’

Sur le site de la mire sud de l’Observatoire, situé à Portalban, les mêmes opérations de mesures ont été effectuées et dans ce cas la différence de latitude n’était que de (ETRS89) – 0.5’’ d’arc, on peut imaginer que la direction du fil à plomb indiquait presque le centre de la Terre.
Imaginons deux bâtiments de 10 mètres de hauteur, construits à l’aide d’un fil à plomb à Chaumont et l’autre à Portalban, la différence de verticalité entre ces deux immeubles serait d’environ 6 millimètres!
Cet exemple n’est qu’anecdotique, mais pour de grands chantiers tels que les tunnels transalpins, ces mesures et calculs de déviation de la verticale doivent être effectués aux deux extrémités pour garantir la précision du guidage durant le percement.
En Suisse, la déviation maximale de la verticale est de l’ordre de 35’’ d’arc.
À l’échelle terrestre, le maximum de cette déviation est de l’ordre de 100’’ d’arc.
Aujourd’hui, la caméra zénithale automatique et l’ordinateur ont remplacé le théodolite et le chronomètre de marine.

La Terre n’étant pas une sphère parfaite, l’établissement des cartes se base sur un ellipsoïde de référence.
Le géoïde est un modèle de la terre qui tient compte du champ gravitationnel ou de pesanteur qui détermine aussi la valeur de la déviation de la verticale. La forme du géoïde est irrégulière et détermine des bosses et des creux.
Les variations de trajectoires des satellites volant à basse altitude ainsi que des mesures altimétriques satellitaires par radar permettent de détecter la forme du géoïde.
Sur les surfaces terrestres ce géoïde est déterminé précisément par des mesures du champ de pesanteur ou par des mesures astronomiques telles que celles effectuées à Chaumont en 1887.
Aujourd’hui, on tient compte, entre autres, de la déviation de la verticale pour des corrections de réseaux de triangulation à grande échelle, le positionnement des antennes de radionavigation, la construction et la surveillance de déformations des tunnels et barrages, la trajectographie par centrale inertielle. Les altitudes ellipsoïdales (h) déterminées par les systèmes globaux de navigation par satellites (GNSS), aujourd’hui largement utilisés en mensuration, doivent être corrigées par les ondulations du géoïde (N) pour obtenir les altitudes usuelles au-dessus de la mer (altitudes orthométriques H).
Sur les océans, les creux et les bosses sont de l’ordre de 100 mètres mais les distances sont de plusieurs milliers de kilomètres, d’où une pente extrêmement faible.
Ceci est représenté sur la photo de gauche en contraste augmenté de 10’000 fois.
… bien heureusement la réalité est à droite !

Remise en place de la table et rénovation

La valeur patrimoniale de la table astronomique de Chaumont est certaine, et semblerait-il, sur le territoire suisse elle est la dernière encore visible parmi les nombreuses érigées à la fin du 19e siècle.
Préalablement à la remise en place et rénovation, il était nécessaire de déterminer la position exacte de la table avant son basculement, ceci a été réalisé le 8 septembre 2022 par M. le prof. Sébastien Guillaume et M. Dylan Vaucher de la HEIG-VD ainsi que l’instrumentation.
Ces travaux ont fait l’objet d’un rapport dont le titre est « Implantation de la table astronomique de Chaumont » publié le 23 septembre 2022 par MM. Sébastien Guillaume et Dylan Vaucher.

Pour réaliser cette implantation, les coordonnées MN95 du pilier astronomique de Chaumont ont du être déterminées à partir des informations disponibles dans des anciennes publications de l’office fédérale de topographie (swisstopo) et de la commission géodésique Suisse (SGK), ainsi que par de nouveaux relevés sur le terrain.
Les documents de référence utilisés pour déterminer la position originale du pilier astronomique de Chaumont sont:

  1. Das Schweizerische Dreiecknetz. Lotabweichungen in der Westschweiz. 1894.
    Dr. J.B. Messerschmidt. (Traduction en français par Pierre Sydler)
  2. Rattachement des instruments et piliers d’observation de l’Observatoire de Neuchâtel. 1939. Office fédéral de topographie, swisstopo.

…les géomètres, le 8 septembre 2022.

Retrouvé!
La position du centre de la table astronomique:
E MN95: 2 563 138.709 N NM95: 1 208 101.700
WGS84: E 6° 57’ 13.55392’’ WGS84: N 47° 1’ 22.54580’’
Altitude de la table: 1018.57 m

Le 1er décembre 2022… on retrouve l’ancien empierrement et on bétonne le socle:

1887… 8 décembre 2022, la table retrouve sa place!

Rénovation et conservation

Un brossage et lavage à basse pression, obturation de la fissure et pose d’agrafes en inox a été réalisé par l’entreprise de construction Facchinetti SA. Pour ces travaux l’association EspaceTemps a bénéficié de conditions particulièrement avantageuses.
Un panneau explicatif est apposé à quelques mètres de la Table astronomique.
Par la même occasion, la mire nord de l’Observatoire de Neuchâtel, située sur le même pâturage, bénéficie également d’un tel panneau.

Remerciements

HEIG Yverdon: M. le Prof. Sébastien Guillaume, M. Dylan Vaucher, pour les travaux de géomatique.
M. Maël Schertenleib: Pour les travaux de bétonnage et mise en place de la table.
Entreprise Facchinetti SA pour le nettoyage et la réfection de la table.
Société pour l’histoire de la géodésie en Suisse, par M. Adrian Wiget: Pour ses informations et pour avoir répondu à mes nombreuses questions.
M. Marc-Olivier Schatz, Graphic Designer SGD, pour la conception des panneaux d’informations.